samedi 13 décembre 2014

Sanctions : l'UE piégée, la Russie se tourne vers l'Asie et vers les BRICS



Selon la presse atlantiste, la Russie aurait été gravement impactée par les « sanctions » unilatérales —en réalité des actes de guerre économique— prises à l’occasion (1) du libre rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie, et (2) de la destruction, par des chasseurs ukrainiens,  du Boeing de la Malaysia Airlines et (3) par la baisse du prix du pétrole. Le rouble a perdu 40 % de sa valeur, les investissements inutiles dans le gazoduc South Stream ont coûté 4,5 milliards de dollars, et l’embargo alimentaire a coûté 8,7 milliards de dollars. En définitive, assure la presse atlantiste, la Russie est aujourd’hui ruinée (puisqu’elle perd 13,2 milliards de dollars) et serait isolée politiquement.

La presse atlantiste fait par contre l’impasse sur les conséquences de cette guerre économique dans l’Union européenne.
http://www.vineyardsaker.fr/wp-content/uploads/2014/12/russia-maitre-echecs.png 
Outre que l’interdiction des exportations alimentaires est susceptible de détruire des pans entiers de son agriculture, le renoncement à South Stream pèsera très gravement sur l’avenir de l’Union en renchérissant le prix du gaz, qu’elle sera obligée d’acheter chez l’Oncle Sam. Autrement dit, l’UE tombe de Charybde en Scylla.

Réponse russe : Virage de 180 degrés vers l'Asie

Lors du sommet de l’APEC à Pékin, Obama a conclu avec la Chine 1 accord aussi « historique » que « fumeux » qui prévoit la réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. Poutine a conclu avec la Chine 17 accords opérationnels d’importance stratégique. Le contrat gazier de 400 milliards de dollars avec la Chine est d'une importance historique en soi. Pendant six ans, la Chine achètera à la Russie plus de gaz que cette dernière en fournit en Europe aujourd'hui. Par ce coup de maître, Moscou aura la possibilité d'évincer partiellement les USA du marché asiatique des hydrocarbures en vendant son gaz et son pétrole à des tarifs appropriés, comme elle le faisait naguère pour l’Ukraine, et comme elle le fait toujours pour la Belarus. Les plus grandes compagnies énergétiques russes —Gazprom, Rosneft et Lukoil— sont sur le point de coter leurs actions à la Bourse de Hong Kong, non pas en dollars mais en monnaies asiatiques : yuan chinois, dollar de Hong Kong, dollar de Singapour. Le processus de dédollarisation des échanges commerciaux, extrêmement redouté aux États-Unis, accomplit un nouveau pas avec l’accord entre la Banque centrale russe et la Banque populaire de Chine. Un autre accord important concerne la réalisation de grands parcs de haute-technologie dans les deux pays, destinés en particulier à développer les systèmes satellites de navigation mondiale, le Glonass russe et le Beidou chinois, alternatifs au GPS états-unien : dans ce cadre seront installées en Chine diverses stations terrestres du Glonass. Les deux gouvernements se sont mis d’accord sur « de nombreux projets de coopération militaire ». L’un d’entre eux est le chasseur furtif chinois J-31 (analogue au F-35 états-unien) qui, doté de moteurs russes, a été montré en vol au Salon aérospatial de Zhuhai en Chine méridionale, pendant que le président Obama se trouvait à Pékin.

La Russie drague la Turquie, membre de l’OTAN

La Russie a surpris Washington en renversant l’échiquier diplomatique : Vladimir Poutine s’est rendu en Turquie, État membre de l’Otan, juste après le vice-président états-unien Joe Biden, pour y conclure de gigantesques accords économiques. Non seulement ils contournent les sanctions unilatérales de l’Alliance, mais ils la désorganisent profondément.
Distinguant les questions économiques des questions politiques, Poutine présentait une offre longuement préparée : une alliance économique sans précédent entre les deux nations. Comprenant que cette offre inattendue était sa seule issue face à Washington, le président Erdoğan signait tous les documents qui avaient été rédigés par les Russes. Il acceptait le renforcement du gazoduc sous-marin reliant son pays à la Russie via la Mer Noire ; il achetait à bon prix du gaz russe et même des centrales nucléaires civiles pour alimenter son industrie ; il livrait ses produits agricoles à la Russie malgré l’embargo de tous les autres États atlantiques ; etc.
Vladimir Poutine n’a certes pas changé d’avis sur Erdoğan, qui est un petit criminel typique des Frères musulmans. Comme ses compères islamistes tunisiens ou égyptiens, il a été propulsé au pouvoir avec l’aide de la CIA. Il se comporte aujourd’hui comme un vrai chef mafieux, et s’est construit un palais mirifique digne des "Mille et Une Nuits". Mais le président russe a l’habitude de traiter avec des oligarques ou des chefs d’État d’Asie centrale qui ne valent pas mieux.

La catastrophe South Stream

Contrairement à l’idée répandue dans les médias européens, le renoncement à la construction du gazoduc South Stream n’est pas simplement un coup dur pour la Russie qui y perd 4,5 milliards de dollars, mais c'est surtout un coup dur pour les membres de l’Union européenne. Ceux-ci perdent de gigantesques contrats de construction, les royalties qu’aurait occasionnées le passage du gazoduc sur leur territoire, et le développement économique facilité par une énergie bon marché. Il s’agit sans aucun doute de la pire catastrophe économique que l’UE ait jamais connue.
En réalité, par cette manœuvre, c’est Washington qui donne une autre forte claque à l’Europe, en bloquant un projet de 16 milliards d’euros, qui aurait pu être de grande importance économique pour les États de l’UE, en particulier ceux d’Europe du Sud. Par exemple, la Bulgarie  devra renoncer à des droits de transit de l’ordre de 500 millions de dollars annuels.
En même temps, la compagnie états-unienne Chevron commence les perforations en Pologne, en Roumanie et en Ukraine pour extraire les gaz de schiste bitumineux, par la technique de fracturation hydraulique : on injecte dans les strates rocheuses profondes des jets d’eau et de solvants chimiques à haute pression. Cette technique est extrêmement dangereuse pour l’environnement et la santé, à cause surtout de la pollution des nappes phréatiques. Le projet de Washington de remplacer le gaz naturel russe, importé par l’UE, par celui extrait des schistes bitumineux en Europe et aux États-Unis, est un véritable bluff, à la fois par ses coûts élevés et par les dommages environnementaux et sanitaires de cette technique d’extraction. 
La Turquie compte devenir le principal centre de transit du gaz en direction de l’Europe du Sud, à la place de l’Ukraine. Gazprom a présenté un contrat intéressant à Ankara, lui accordant une ristourne sur le gaz. Bien que le prix de vente soit tenu secret, je pense que les Turcs pourraient payer moins de 300 dollars les 1 000 m3, alors que la moyenne européenne oscille entre 300 et 500 dollars. Le projet proposé par Gazprom n’est néanmoins pas une réalité, mais une possibilité. L’Union européenne doit maintenant prendre une décision quant à sa réalisation. Si Bruxelles est honnête d’un point de vue concurrentiel, elle acceptera le projet russo-turc, car elle doit être heureuse qu’il existe, outre l’Ukraine, une nouvelle route gazière au Sud.

Chute des prix du pétrole

Il semble que les « sanctions » unilatérales aient eu comme conséquence imprévue la chute des cours du pétrole. En effet, ceux-ci ont débuté le 20 juin, mais ils ne sont sortis des variations habituelles qu’à la fin juillet, lors des premières « sanctions » économiques. Le prix du pétrole n’ayant aucun rapport avec la loi de l’offre et de la demande, mais comme pour tout marché spéculatif, avec le volume des capitaux qui y spéculent, le déplacement des capitaux russes à l’annonce des sanctions ont accéléré le mouvement. Dans un premier temps, on avait attribué la baisse du prix du pétrole à un effort de l’Arabie saoudite pour plomber les investissements états-uniens dans le gaz de schiste et les pétroles non-conventionnels mais, lors de la réunion de l’Opep, il s’est avéré que les Saoudiens n’y étaient probablement pour rien. Au demeurant, il semblait impossible que l’Arabie saoudite spécule contre son suzerain états-unien.
Les experts russes ont calculé que Washington interviendrait si le cours du pétrole se maintenait plus de six mois à un cours inférieur à 60 dollars le baril. Il y a deux mois, le gouverneur de la Banque centrale russe, Elvira S. Nabiullina, attestait devant la Douma être prête pour ce scénario, son institution détenant suffisamment de réserves.
Par conséquent, si pour le moment la Russie est gravement touchée par l’attaque économique de l’Otan, la situation pourrait s’inverser dans six mois. Pour maintenir sa domination sur le reste du monde, Washington serait alors contraint d’intervenir pour faire remonter les prix du pétrole. Mais entre temps, cette guerre aura plombé l’Union européenne et l’Otan, tandis que la Russie aura muté son économie vers son allié chinois.

Eurasie , ou l'obsession des Américains

Depuis la chute et le démembrement de l’URSS, les États-Unis poursuivent peu ou prou la même politique. Elle est clairement définie par l’ancien conseiller du président Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski, dans Le Grand Echiquier (1997) : "Depuis que les continents ont commencé à interagir politiquement, il y a quelque 500 ans, l’Eurasie est le centre de la puissance mondiale […]. La politique étrangère américaine […] doit employer son influence en Eurasie d’une telle manière qu’elle crée un équilibre continental stable, où les Etats-Unis sont l’arbitre politique […]. Il est impératif que n’émerge aucun concurrent eurasiatique capable de dominer l’Eurasie et par là de menacer l’Amérique." 
Côté russe, l’Eurasie se comprend comme "une réplique à l’atlantisme de Bruxelles", elle correspond aussi à une réflexion originale, se proposant de reformuler des tendances profondes de la géopolitique russe.
Poutine a fixé à 2015 la création de l'Union eurasiatique, avec pour noyau dur la Russie, la Biélorussie et le Khazakstan, qui disposent déjà d'un espace économique commun. Ensuite la Russie a conclu des accords extrêmement importants avec la Chine et la Turquie. 
Au moment où la politique russe est en train d’opérer un tournant vers l’est, l’Inde devient le plus grand partenaire de Moscou dans la région d’Asie et du Pacifique après la Chine. 
Poutine vient d'effectuer sa première visite en Inde après la prise du serment par la premier ministre Modi en mai dernier mais les leaders de deux pays avaient déjà eu le temps se rencontrer en juillet et novembre dans les forums internationaux des BRICS.Bientôt, ce sera le tour de l’Iran. Dans tous ces accords, le dollar est exclu dans les transactions bilatérales.
 
Le retournement de la Russie vers l'Est couplé à l'ouverture des pays orientaux à un partenariat équitable avec Moscou trace les contours d'un nouveau monde, de nouvelles alliances quelque part révolutionnaires, économiques et culturelles, compte tenu des orientations des voies commerciales historiques (Route de la Soie) et la similitude des systèmes de valeurs.
En définitive, la Russie agit ici comme elle l’a toujours fait. Jadis, elle pratiquait la « stratégie de la terre brûlée » lorsque la France de Napoléon ou l’Allemagne d’Adolf Hitler l’envahissait. Elle détruisait elle-même ses propres richesses à la place des troupes ennemies et ne cessait de reculer vers l’Extrême-Orient. Puis elle refluait contre les envahisseurs exténués par leur trop longue pénétration.

Conclusion

Voici ce qui échappe à ceux qui s’en tiennent à une évaluation simpliste de l’effet des sanctions :
  1. Qui est le plus touché économiqueent par ces sanctions, la Russie ou l’Occident ?
  2. Quelle est la capacité de la Russie à encaisser ces sanctions ?
  3. Dans la durée, sera-t-il plus facile pour la Russie, ou plus difficile, de résister aux sanctions ?
Je dirais que ces sanctions pénalisent bien plus les colonies européennes des États-Unis (connues sous le nom d’Union européenne) que la Russie.
L'Histoire lointaine ou récente nous a montré que le peuple russe a une résistance phénoménale à la dureté et que, en comparaison, les peuples de la société occidentale sont mous, hédonistes, paresseux, gâtés et d’une façon générale faibles. 
Les Russes ont une capacité de résistance qui est simplement inimaginable pour un occidental (le terrible siège de Leningrad a duré 900 jours !).
Staline s'adresse aux russes : "Partez, quittez votre isba, votre maison, détruisez tout. Ne laissez rien qui puisse servir à l’agresseur fasciste hitlérien."
En dernier lieu, je pense que le temps va permettre à la Russie de prendre des mesures qui rendront simplement ces sanctions sans effet.
De plus, il faut comparer la capacité de résistance russe au régime des sanctions anglo-sionistes, à la capacité de la junte nazie ukrainienne à garder le contrôle de la situation. Faire face à la dureté des conditions est une chose, faire face au naufrage du navire sur lequel vous naviguez en est une autre.
Cependant, tout cela se fonde sur la perspective que la Russie sous Poutine va enfin redresser certaines failles structurelles internes qui l’affaiblissent.
En conclusion, juste pour information, lisez : Le piège en or du maître d’échecs Poutine.
Pourquoi en sommes-nous pleinement satisfaits ? 
- Parce que démonstration est faite que l’insupportable prétention yankee à être le gendarme du monde peut être tenue en échec voire ridiculisée. 
- Parce que le peuple russe vibre devant la renaissance d’une Grande Russie. 
- Parce que les peuples non occidentaux voient la Russie, adossée à la Chine, comme la seule garante d'un monde plus juste et plus libre. 
- Parce que la mauvaise foi, la duplicité, l’hypocrisie des dirigeants occidentaux  éclate au grand jour : quand un peuple (Syrie, Irak, Crimée, Donbass) entend exercer son droit à disposer de lui-même, c’est un concert de hurlements de la part des « démocrates » - des « démocrates » qui refusent la règle du jeu démocratique si ce peuple « vote mal » . 
Hannibal GENSERIC
VOIR AUSSI :

Stratégie chinoise